UNE FEMME AMOUREUSE DE LA VIE 23 À l’époque, la jeunesse du village organisait souvent des danses aux maisons, principalement au cours de l'hiver et surtout à l’occa- sion des jours gras. Léah raffolait de la danse, mais tant et aussi longtemps qu'elle est demeurée sous le toit paternel, sa mère ne lui a pas permis de fréquenter ces soirées. «Ma mère était stricte, stricte. Il y avait des danses l’autre bord du chemin, puis je pouvais pas y aller. J'ai-t-y braillé! Puis j'ai-t-y braillé! Je trouvais ça tough.» Elle se rappelait vivement la toute première fois où elle avait dansé un quadrille, et ce à l'insu de ses parents. Elle avait environ quatorze ans : J'avais été me promener chez une de mes tantes, puis j'ai été à la danse et je m'ai rencontré des cavaliers ce soir-là. Je voulais pas leur dire que j'avais jamais dansé. Ma mère m'avait jamais, grand jamais permis. J'aurais jamais pu sortir la porte. J'ai dansé toute la soirée, puis je leur ai pas dit. Je m'ai appris assez vite! J'ai attrapé un rhume! J'ai été obligée d'aller voir le docteur. Ils avont jamais su ça, mon père puis ma mère, que c'était là que j'avais pogné Ça. Fidèle à la tradition de l’époque, Madame Aucoin surveillait de très près les fréquentations de ses filles. Léah devait donc veiller avec son prétendant dans la salle à manger. Évidemment, toute forme d'intimité était hors de question. Sa mère, assise dans sa berceuse, les observait plus ou moins discrètement pendant toute la soirée. Comme Léah le disait en riant un jour : «Je vous dis qu'il y avait pas grand amour de fait» dans ces rencontres. Une fois, son cavalier lui avait apporté des arachides enveloppées dans du papier journal. Une partie de la soirée s'était écoulée à ouvrir et à manger ces peanuts et à les partager avec les plus jeunes de la famille. «On a passé une sérieuse belle soirée, se rappelait-elle. Moi, je savais pas la diffé- rence!} Léah a fréquenté plusieurs jeunes hommes avant de se marier en 1928, à l'âge de 29 ans. Pendant qu’elle habitait les États-Unis, elle s'est éprise d’un Acadien de l'Île, Augustin Gallant, qu'elle a fré- quenté pendant quelques années. Malheureusement, il souffrait d’alcoolisme. Léah tenta de le guérir, mais ses efforts furent vains. Bien chagrinée, elle mit fin à la relation, et quelques années plus tard,